Brulhatour

Ce ne sont pas les 6 (petits) millions d’auditeurs qui écoutent quotidiennement France Inter dont on vous parle. Ni les presque 40 millions d’auditeurs qui écoutent la radio française chaque jour. Non, non, non… Ceux là, ils sont beaucoup plus nombreux. Plusieurs centaines de millions. 747 pour être précis. Selon les projections, c’est le nombre de personnes qui parleront français à l’horizon 2070 sur la planète. C’est un gigantesque gisement de réjouissances qui se présente à la radio en particulier, et à l’audio digital francophone en général…


747 millions d’auditeurs en 2070

On vous dit que l’abondance c’est terminé ? Détrompez-vous ! L’abondance, c’est demain. Enfin, après-demain. En 2070. À l’échelle de l’humanité, c’est que dalle. Toutefois, pas de panique messires, vous avez donc largement le temps de vous retourner et de vous y préparer. L’abondance sera démographique si l’on en croit les prévisions : 747 millions de francophones au compteur en 2070 sur la planète. Il vous faut juste patienter moins d'un demi-siècle.
Que peut-on bien faire avec 747 millions de francophones ? Et bien déjà, on peut continuer à faire de la radio depuis la France. D’ailleurs en France, et aux alentours de 2070, on devrait compter 68.1 millions d’habitants (1). Une population, un chouia, plus nombreuse mais surtout plus âgée. Le vieillissement de la population paraît inéluctable avec 5.7 millions supplémentaires de 75 ans ou plus et 5 millions supplémentaires de moins de 60 ans. On peut donc imaginer que Nostalgie sera la première radio musicale de France ! Sauf cataclysme, vos enfants continueront à écouter la radio, certes ils seront moins nombreux. Une radio avec des résultats d’audience moins élevés qu’aujourd’hui.

112 grands territoires à forts potentiels à explorer

Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a pas que les Français qui parlent le français sur la planète. Il y a nos cousins québécois. Nos voisins belges et suisses. Et tous les autres. Le français est la 5e langue mondiale par le nombre de ses locuteurs. Le français est parlé dans 112 pays et territoires, ce qui représente aujourd’hui 321 millions de locuteurs (2). Aujourd’hui, la langue française se place derrière l’anglais, le mandarin, l’hindi et l’espagnol.
Selon les projections, le nombre de francophones devrait se situer entre 477 millions et 747 millions en 2070. Ce nombre dépendra certes des évolutions démographiques annoncées (favorables en Afrique mais défavorables en Europe), mais également de la place du français dans les systèmes éducatifs des pays concernés (3). Sans évoquer tout ce qui n’est pas prévisible : une guerre mondiale, une catastrophe nucléaire, un changement climatique irréversible, un virus ou les dix plaies d'Égypte…. Si les prévisions se confirment, et dans le cas des données hautes, les locuteurs de langue française pèseraient près de 8% de la population mondiale contre 3% seulement actuellement. Ajoutons que le français est encore la 4e langue sur l’Internet. À long terme, la croissance démographique prévue pour l’Afrique devrait assurer indirectement une bonne présence de notre langue dans l’Internet (4).

Pensez votre production pour l’international francophone

Si ce nombre de 747 millions est à prendre avec des pincettes, il est plus de 10 fois supérieur au potentiel hexagonal. Cela signifie que pour celles et ceux qui produisent de l’audio, notamment de l'audio numérique en langue française, les prochaines décennies offriront davantage d'opportunités. Il ne faut pas les ignorer. Et, c’est probablement dès aujourd’hui qu’il faut défricher des territoires, loin de Paris, sous d’autres latitudes. Du moins penser la production, par exemple, d’un podcast en français pour l’international francophone. Penser la radio pour l'international francophone. Penser le rédactionnel en langue française pour l’international francophone dans le but d'élargir le champs des possibles. Il y a 30 ans, il fallait envoyer par La Poste une K7 à une station francophone. Aujourd’hui, cette radio peut télécharger votre contenu en quelques secondes. Mieux encore, ses auditeurs n’ont plus besoin de cette intermédiaire pour vous écouter. Alors, possiblement, les pessimistes diront que cela risque de ne pas fonctionner. Mais si vous ne le faites pas, d’autres le feront à votre place.

Mais évitez les anglicismes, c’est beauf…

Comme j’aborde ici la langue française, je ne voudrais pas terminer sans évoquer tous ces mots qui ont fleuri, notamment dans la bouche des gens des médias, ces dernières années. Je plaide coupable, j’en fais partie. Vous voyez donc certainement à quoi je fais allusion : le cash, les hits, le live, le morning, les news, la playlist, le podcasting, le showcase, le streaming, le talk, le voice track… N’oublions pas non plus tous ces autres  anglicismes insupportables (5) : le bashing, le buzz, les fake news, la task force... c’est ce que j’appelle la customisation (encore un anglicisme) de la langue française. Comme ceux qui customisent leur voiture. J’ai connu un gars qui s’appelait Jean-François. Il n’avait pas inventé la machine à cintrer les bananes mais il était très habile de ses mains. Il avait repensé, à sa manière, sa Renault Fuego. Il en avait mis partout : des longues portées, deux grandes antennes, un béquet arrière, des déflecteurs d'air, deux pots d'échappement, des sièges baquets. Tant est si bien, qu’au bout du bout, ça ne ressemblait plus à rien. Il y avait bien deux ou trois filles de la campagne qui auraient accepté, pour aller au Macumba, de monter dans la Renault Fuego de Jean-François mais le mille-feuilles d’ajouts visuels faisait davantage rire que languir. Je ne sais pas ce qu’est devenu Jean-François. Mais ce que je sais, c’est que ceux qui utilisent de l’ASAP, du Must have, du Senior manager ou encore de la Conf call à tout bout de champ, ont tous un peu de Jean-François en eux… Pensez plutôt aux 747 millions d'auditeurs francophones potentiels. Et, si possible, en français dans le texte.

(1) 68.1 millions d’habitants en 2070 - INSEE Première Nov 2021
(2) Nombre de francophones dans le monde - Observatoire de la langue française
(3) La langue française dans le monde - OIF
(4) La langue française dans le monde - OIF
(5) Anglicismes : les équivalents français recommandés - CSA
(6) Pourquoi s’inquiéter du franglais ? France Culture


 

Rédigé par Brulhatour le Mercredi 31 Août 2022 à 06:05 | Commentaires (0)

Diffusion, audience, intelligence artificielle, publicité, engagement… Comment la radio va-t-elle évoluer au cours des 50 prochaines années ? On n’a déjà pas, ou peu, de visibilité pour cette nouvelle saison qui débute alors comment en avoir pour les prochaines décennies ? Et bien ici, on aime les exercices de prospective. Ils permettent de générer, non pas des prophéties, mais des prévisions sur les évolutions futures. Entre possible et impossible, voici 7 scenarii, forcément cataclysmiques, qui concernent la radio de demain.


7 scenarii catastrophiques de l’évolution de la radio

La fin de la FM, l’échec du DAB, l’envolée de l’IP
S’acheminerait-on vers une diffusion hybride de la radio ? Avec une FM française saturée et dont la qualité sonore ne semble pas non plus séduire le jeune public (habitué à écouter désormais un son numérique au casque) et un DAB qui poursuit son déploiement dans l’indifférence générale du grand public, incontestablement demain, il y aura plusieurs possibilités pour écouter la radio. Une FM moribonde, un DAB brinquebalant et une diffusion IP qui jouera des coudes. Chaque outil a des avantages et des inconvénients. Les deux premiers sont gratuits et anonymes. C’est l’inverse pour le troisième. Ajoutons que la radio sera aussi mise en concurrence dans l’habitacle. La voiture autonome, c’est pour demain. Au lieu d’être attentif au code de la route, on pourra, certes toujours écouter la radio mais aussi regarder un film, lire un livre, dormir... La radio ne sera ainsi plus le seul média de la mobilité…
 
L’IA remplace l’animateur et le journaliste
Parions que demain, le secteur de la radio et de l’audio digital comptera beaucoup moins de salariés qu’aujourd’hui. La machine pourra même remplacer la quasi-totalité du personnel. Elle offre de nombreux avantages : elle n’est jamais fatiguée, n’est pas syndiquée, ne pose jamais de congés, elle est capable de travailler 24 heures sur 24 en optimisant toutes ses tâches. Gageons que ses avantages seront encore plus nombreux demain. Mais comme la Nature a horreur du vide, il y a fort à parier qu’elle aura autant d’inconvénients. "Le développement d’une intelligence artificielle complète pourrait mettre fin à l’humanité (…) Une fois que les hommes auraient développé l’intelligence artificielle, celle-ci décollerait seule, et se redéfinirait de plus en plus (…) Les humains, limités par une lente évolution biologique, ne pourraient pas rivaliser et seraient dépassés" avait déclaré Stephen Hawking. Terrifiant n’est-ce pas ?
 
L’effondrement de l’engagement bénévole dans les A
Au début des années 80, la radio a pu émerger en France, et être ce qu’elle est devenue, grâce au bénévolat. Sans le vouloir vraiment, le bénévolat a permis la naissance, et souvent le succès, de stations qui sont toujours en activité. Rappelons que le bénévolat consiste à mener une activité non rétribuée et librement choisie dans une association sans but lucratif. Force est de constater qu’avec le développement d’Internet (particulièrement des nouveaux services en ligne très chronophages pour l’individu), le bénévole dispose de moins de temps à offrir. On compte toujours plus de 600 radios associatives en France qui fédèrent encore des milliers de bénévoles. Mais depuis le début du Covid-19, l’engagement y semble être beaucoup moins important et les candidats au bénévolat beaucoup moins nombreux. Un sujet d’inquiétude qui pourrait à terme contraindre les radios A à réduire la voilure…
 
L’audience hertzienne poursuit sa baisse
La baisse de l’audience hertzienne de la radio devrait logiquement se poursuivre durant les prochaines saisons. Cette baisse s’explique principalement par l’offre pléthorique (stations, streaming musical, podcasts, VOD…) proposée sur le web, une offre qui entre en concurrence directe avec la radio. Deux interrogations doivent être soulevées : cette baisse va-t-elle s’arrêter ? Et surtout, quel volume d’audience minimum la radio hertzienne peut-elle supporter ? Pour autant, le volume d’audience perdu sur le support hertzien pourrait être proportionnellement regagné sur le support numérique. À condition de s’y faire une place solide et durable. C’est très loin d’être facile vu la féroce concurrence qui règne dans ce monde global qui n’est, pour l’heure, absolument pas régulé. Les radios françaises, comme celles des quatre coins de monde, doivent donc s’attendre à un tassement et à un vieillissement des audiences qui paraissent inéluctables…
 
La publicité bascule vers le tout-numérique
À l’heure où l’individu passe toujours plus de temps sur Internet, c’est autant de temps qu’il ne consacre pas à la radio hertzienne. Gageons que l’audience numérique, ou celle liée à l’audio-numérique, sera de plus en plus importante à l’avenir et devrait poursuivre sa montée en puissance notamment via les Smartphones. Et, si cette audience, strictement numérique, doit encore augmenter, alors les annonceurs devraient y être beaucoup plus sensibles. Ils seront donc plus nombreux à y consacrer un budget. Parmi les territoires qui pourraient générer de plus en plus de chiffre d’affaires : Google, Facebook ou encore Amazon. Les deux premiers permettent déjà d’engager des campagnes de publicité locale. La crainte est loin d’être anecdotique. On peut s’inquiéter car il est vraisemblable qu’un annonceur préfèrera confier son budget à un GAFAM plutôt qu’à un média local…
 
Un piratage massif du réseau de diffusion
Un des constats que l’on peut faire, c’est que l’on a rendu la radio dépendante. Autrement dit, vulnérable. Ces dernières années, plusieurs entreprises du secteur ont d’ailleurs été victimes de piratages massifs suivis de demandes de rançon. Doit-on en faire une nouvelle source d’inquiétude ? Oui. Demain, rien n’empêche d’imaginer qu’une Généraliste ou que les radios d’un même groupe soient confrontées à cette prise d’otage pendant plusieurs minutes, plusieurs heures ou même plusieurs jours… Pour un média, l’indépendance va donc bien au-delà de l’indépendance éditoriale. Ces prochaines années, l’indépendance passera aussi par la diffusion au sens large : stockage des données sensibles, stockage et diffusion des replays, diffusion des flux premium ou complémentaires au programme principal…
 
Les opérateurs priés de payer pour diffuser sur le web
Depuis l’engouement d’internet, plusieurs entreprises se sont approprié les flux des radios. Elles les ont centralisés pour les proposer (gratuitement) aux internautes sans demander quoi que ce soit aux radios. Peut-on imaginer que ces entreprises puissent aller plus loin dans leur démarche en exigeant demain, un ticket d’entrée ou mieux un abonnement mensuel imposé aux radios afin qu’elles puissent continuer à assurer leur présence, leur visibilité et le maintien de leur audience numérique ? Peut-on imaginer que, demain, celles qui paieront le prix fort pourront prioritairement bénéficier d’une meilleure visibilité algorithmique contrairement à celles qui n’en ont pas les moyens et qui seront condamnées à demeurer dans les profondeurs des pages de recherche ? Oui.
 

Si vous souhaitez partager vos prévisions, envoyez-moi un mail à frederic@lalettre.pro .

Rédigé par Brulhatour le Lundi 22 Août 2022 à 06:17 | Commentaires (0)

Parce que, vu ce qui nous est tombé sur le coin du museau en mars 2020 et notamment ses conséquences encore palpables plus de deux ans après, cette rentrée promet vraisemblablement d’être pénible. Même si ce n’est pas dans les habitudes de la maison, on va quand même essayer de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide… Parce que septembre, c’est aussi le mois des bonnes résolutions…


78% des résolutions, prises par exemple le 1er janvier, ne tiendraient pas plus d’une semaine complète. Conclusion : faut être costaud pour engager un processus de transformation... © Paris Radio Show 2022 - Linda Viksna
78% des résolutions, prises par exemple le 1er janvier, ne tiendraient pas plus d’une semaine complète. Conclusion : faut être costaud pour engager un processus de transformation... © Paris Radio Show 2022 - Linda Viksna

Juste deux ou trois mots afin de mettre en perspective ce qui va suivre. Le 1er janvier dernier, j’avais rédigé un thread (inséré ci-dessous avec des renvois vers quelques articles intéressants) concernant ce que l’on appelle les bonnes résolutions. En effet, la coutume veut que l’on prenne de bonnes résolutions, le 1er janvier.
Même pour la rentrée de septembre, chaque animateur ou journaliste peut d’ailleurs se lancer un défi : celui d’être plus exigeant dans sa façon d’animer ou dans sa manière de réaliser un sujet, celui de soigner ses lancements, celui d’être plus exigeant dans l’élaboration d’une programmation musicale, dans la rédaction d’un spot publicitaire…  En ce début de saison, les défis que l’on peut envisager de relever sont nombreux mais l’envie seule ne suffit pas : 78% des résolutions, prises par exemple le 1er janvier, ne tiendraient pas plus d’une semaine complète… Et seulement, environ, 10% des individus parviendraient à tenir une résolution durant un an.
Le constat, comme pour tout projet engagé, c’est qu’il faut être mentalement et physiquement costaud pour franchir la ligne d’arrivée. À vous de voir si vous voulez attendre le 1er janvier prochain. Mais pour adresser un pied de nez à cette coutume, une bonne résolution peut donc aussi être prise en début de saison.
Grâce à quelques observations personnelles réalisées dans le secteur, je vais tenter de dresser une liste, on va dire plus de bonnes conduites que de simples défis, qui eux renvoient vers une thématique plus sportive, même si la radio, c’est souvent du sport.
Ces quelques pistes se présentent ici comme une mise en bouche avant, c’est vous qui le déciderez, une mise en jambes.


Pour ceux qui en ont sous le pied
C’est bien connu, on ne fait bien que ce que l’on aime. Le début de saison est donc un moment idéal pour proposer votre production. Un podcast natif ? Vous aurez beaucoup plus de latitudes dans une radio régionale ou dans une Associative pour proposer et parvenir à convaincre. Et si vous n’en avez toujours pas, tentez l’expérience en solo. Vous avez 10 mois pour transformer votre projet en une belle réalisation. Et ainsi, ajouter une ligne à votre CV.
 
Pour ceux qui ont des projets
Le marché radiophonique régional devrait fortement évoluer durant les prochains mois. Laissez trainer vos oreilles, prenez la température, marquez votre territoire. La saison 23-24 se dessine maintenant. N’attendez pas juin 2023 pour réfléchir ou envisager professionnellement la saison suivante. Pensez également déjà à celle que l’on appelle "la petite rentrée de janvier". Un moment propice pour confirmer ici ou rebondir là-bas. Vous trouverez de nombreuses offres d’emploi, ICI.

Pour ceux qui se lèvent tôt
Si la radio est le media de la mobilité, c’est aussi celui du matin. Se lever tôt et travailler tôt exige une très bonne hygiène de vie. Un matinalier est fatigué du 1er septembre au 30 juin. Mais peu comprennent que se lever tôt empêche aussi toute vie sociale. Pour tenir toute une saison, il faut quotidiennement puiser dans son capital volonté qui n’est pas inépuisable. Prendre la résolution de bien dormir, c’est souvent le début du bonheur.
 
Pour ceux qui n’y croient plus
Tout individu a le droit à ses moments de découragement. Mais peut-être sont-ils probablement plus nombreux depuis mars 2020. Le "Big Quit" ou phénomène de la "Grande Démission" qui concerne les États-Unis traverse l'Atlantique. Ce que je remarque, dans les entreprises du secteur, c'est que les salariés, refroidis par l'inflation, ont davantage pris conscience de l'intérêt de réinventer leur travail. Beaucoup expriment le désir de changer et de travailler autrement. C'est plutôt une bonne chose. Ce qui ne l'est pas, c'est de rêver de claquer la porte mais de ne pas le faire...
 
Pour ceux qui ont du temps
Pour paraphraser Schopenhauer, je dirais qu’il y a deux catégories d’individus en dehors de la radio : la première catégorie ne se préoccupe que de passer le temps, la seconde de l'employer. On ne peut s’enorgueillir de faire de la radio sans être curieux. Lire quelques pages tous les jours, visionner un film ou une série, découvrir une expo, assister à un concert ou prendre le temps d’écouter la radio et pas seulement celle pour laquelle on travaille sont, à mon sens, des réflexes quotidiens à adopter.
 
Pour ceux qui ne sont pas organisés
Il existe mille et une méthodes pour être mieux organisé. La meilleure et la moins chère consiste à mettre en place des habitudes de travail à des horaires précis. Plus on instaure quotidiennement des habitudes, mieux on est organisé. On gagne du temps et on prend souvent du plaisir. Mais il faut de la volonté. J'avais lu un jour que la volonté était comme un muscle. Et plus la journée avance, moins notre capital volonté est important. C'est pourquoi les actions qui exigent de la volonté devraient être réalisées le matin pour plus d'efficacité...

Rédigé par Brulhatour le Mercredi 17 Août 2022 à 06:14 | Commentaires (0)

La radio demeurera-t-elle un lieu de passe-temps (d'épanouissement) où le salarié allie à la fois travail et passion ou un endroit comme un autre où le temps, autour de nouvelles contraintes de plus en plus nombreuses et pesantes, s’écoule à une vitesse plus ou moins lente sans réel objectif, si ce n’est celui de dégager essentiellement un salaire ? Les changements profonds qui interviennent dans les studios doivent, plus que jamais, nous interroger sur la capacité de la radio à demeurer créative et donc, à produire des programmes passionnants tout en préservant l’humain. Encore faut-il s’en donner le temps…


Pour la première fois de l'histoire de la radio, les cadences s’imposent sournoisement dans les studios et bouleversent les habitudes de travail  © Paris Radio Show 2022 - Linda Viksna
Pour la première fois de l'histoire de la radio, les cadences s’imposent sournoisement dans les studios et bouleversent les habitudes de travail © Paris Radio Show 2022 - Linda Viksna

Où est passé le temps que nous avons gagné ? Alors que les nombreux progrès technologiques (automation de la programmation musicale, montage numérique, Remote Radio (1), interactions accélérées via les réseaux sociaux…)  auraient dû conduire à une libération du travail, et donc à dégager un volume considérable d’heures, volume qui aurait pu être, à titre d'exemples, consacré à développer des programmes ou à chercher à comprendre pourquoi les jeunes auditeurs désertent le média, les progrès technologiques, et avec eux la répétitivité des tâches dans les studios, ont transformé le secteur.
Là où il fallait parfois plusieurs heures pour monter un son sur un lourd Revox, il faut désormais quelques minutes sur Adobe Audition. Là où il fallait plusieurs heures pour générer 24 heures de programmation, il faut désormais quelques secondes, voire quelques minutes en comptant le temps d’un bon lissage, si l’on est méticuleux. Là où il fallait plusieurs heures pour installer les outils techniques et tirer des câbles pour assurer un direct, il faut désormais quelques minutes. Là où il fallait impérativement une intervention humaine à une heure tardive pour lancer un son, il n’en faut plus.
Mais, bon sang de bonsoir, où est donc passé ce foutu temps que l’on a gagné depuis ces deux dernières décennies ? D’aucuns disent que ce temps gagné grâce aux avancées technologiques a été redistribué vers de nouvelles tâches. Il a été morcelé. Fractionné. Découpé. Saucissonné. Démembré. Et désormais à la radio, le temps c’est comme la moutarde : peu en ont, beaucoup en cherchent. Curieusement, dans un monde où tout va toujours plus vite, la fontaine du temps se tarit. Et quand un timide filet d’eau apparaît, peu osent claironner qu’ils en disposent au risque de passer pour des tire-au-cul, des procrastinateurs de tout poil et, enfonçons le clou, passer pour des fainéants. Tant est si bien que le temps est devenu une denrée rare. Une richesse précieuse que l’on ne partage pas avec n’importe qui même si l’on continue, dans la précipitation, d’en faire un peu n’importe quoi, faute d’avoir été suffisamment formé à la maîtrise du temps qui passe.
 
Le temps du "vite fait mal fait"

 
Que demande-t-on à un animateur ? Il y a encore 20 ou 30 ans, on lui demandait d’animer. Parfois d’engager quelques opérations antenne, de mettre un peu le museau dans la programmation musicale… Aujourd’hui, quand on voit une fiche de poste, il y a de quoi tomber de sa chaise. On se demande même si un animateur a dorénavant le temps d’animer : développement des réseaux sociaux, accueil des auditeurs au standard, auto-réalisation de son créneau, création de contenus originaux et notamment de podcasts, un peu de marketing antenne, un peu de coordination, un peu de temps dédié à l’enregistrement d’un bulletin météo ou d’un agenda.
L’évolution du métier d’animateur est la même que celle qui frappe le métier de journaliste. Plus exactement, le métier de journaliste localier aux journées, trop, chargées. Avant : la présentation de flashes et un reportage par jour. Désormais, deux, parfois trois, voire quatre. Déclinés à toutes les sauces : pour l’antenne forcément, pour le web avec un article de 1 000 caractères et avec la photo qui va bien, avec un  titre accrocheur, avec les amorces rédactionnelles pour les réseaux sociaux…. C’est le temps du "vite fait mal fait".
Si vous voulez produire des guenilles, multipliez les tâches. Ne laissez pas de temps mort. Essorez votre animateur jusqu’à la dernière goutte. Ajoutez-en un peu plus chaque jour. Devenez le Tricatel de la radio ! Dans tous les cas, vous avez déjà perdu la partie. Vous l’avez perdue parce que jamais vous ne trouverez un animateur capable de mener correctement l’ensemble de ces tâches. Vous ne trouverez jamais un journaliste capable d’assumer correctement l’ensemble de ces missions au long cours. Et en augmentant leur salaire ? En leur rendant leur vie professionnelle meilleure ? Non plus ! Vous ne les trouverez pas tout simplement parce qu’ils n’existent pas. L’animateur n’est pas une machine. Le journaliste n’est pas un outil. Ici, la touche F5 n’existe pas.
 
Les 3x8 y’a que ça de vrai
 
Je vais vous faire une confidence… Je me méfie comme du lait sur le feu de ces animateurs et de ces journalistes qui passent un temps fou cloîtrés et claquemurés à la radio. Ceux qui ne décrochent pas. Cela devrait aussi vous alerter. Ce sont les mêmes qui, la nuit, vident le frigo et s’empiffrent en  cachette. Les mêmes qui vont regarder en un week-end les cinq saisons d’une série. Ce sont des sprinters, pas des coureurs de fond. Vous auriez tout intérêt à vous en méfier. D’abord, parce qu’ils sont très versatiles. Ensuite, et je me permets d’en remettre une couche : parler de ce qui se passe dehors en étant dedans, ça ne marche pas. Ajoutons que le studio, notamment depuis mars 2020, est devenu un lieu particulièrement hermétique. Le temps qui s’y égrène est donc très différent de celui qui met au pas l’auditeur, à l’extérieur. À l’image du temps qui s’écoule dans ce couloir d’hôpital noyé sous les lumières artificielles et qui fait perdre leurs repères à ceux qui y travaillent ou à celui qui attend sa prise en charge. Cette épaisse étanchéité avec le monde extérieur nuit gravement à la retranscription de la vraie vie au micro, celle qui s’écoule, tous les jours et plus normalement, au coin de la rue. Un bon animateur, c’est celui qui sait humer l’air du temps. Idem pour un journaliste. Ils apprendront toujours plus de choses dehors que dedans.
Pour éviter cette déconnexion temporelle, il faut rééduquer l’animateur et le journaliste pour qu’ils puissent trouver un équilibre qui s’entend à l’antenne, on va dire un équilibre temporellement salvateur. Cet équilibre est pourtant simple : 8 heures pour le sommeil, 8 heures pour le travail et 8 heures pour les loisirs. Vous croisez un animateur qui répond à cette règle de vie ? Embauchez-le. On vous fait les gros yeux parce qu’au bout de vos huit heures quotidiennes vous rentrez chez vous ? Passez voir Josie de la compta !
La journée commence vraiment quand celle, au travail, se termine. Cela évite bien des tracas et notamment permet de ne pas se laisser entraîner dans des cadences infernales. Ainsi, viendrait-on désormais en 2022, et pour la première fois, à utiliser le mot cadence (2) à la radio, alors que ce terme en avait été relativement absent depuis l’avènement du média. Dernier exemple en date, les jeunes recrues de France Bleu (3) essorées par le planning.
Rappelons-nous cette phrase de Nietzche : "Quiconque ne dispose des deux tiers de son temps pour son propre usage est un esclave". Ça vaut pour l’animateur, pour le journaliste comme pour le directeur général adjoint ou le président.

Et où passe le temps des auditeurs ?
 
Durant la période allant du 4 avril au 3 juillet 2022, les Français ont écouté chaque jour la radio durant 2h37 (4) soit plus de 39 jours complets par an (au doigt mouillé) uniquement dédiés à écouter la radio. En 2022, la radio représente, à elle seule, 57% du volume total de la consommation audio chaque jour (5), dont 53% en direct et 4% à la demande. Elle reste le format le plus écouté devant le streaming musical, audio (20%) ou vidéo en fond sonore (10%).
Pour autant, avec une ambition de feuille morte, l’auditeur tend à se disperser parce qu’il est de plus en plus sollicité alors que les journées ne font que 24 heures. Par exemple, l’utilisateur "type" de YouTube passe désormais près d’une journée entière – 23.7 heures – par mois à utiliser l’application mobile de YouTube sur Android (6). C’est autant de temps qu’il pourrait consacrer à écouter la radio. Plus encore, selon le Regional Pulse Index (7) de data.ai pour le deuxième trimestre 2022, l'appétit des consommateurs pour le contenu mobile continue de croître. Les utilisateurs des deux principaux marchés, l'Indonésie et Singapour, y consacrent désormais 5.7 heures par jour !
Pour mieux comprendre la bascule qui s’opère, dans une relative indifférence générale, rappelons que l’internaute mondial "type" passe désormais près de 7 heures par jour sur Internet, tous appareils confondus. Et, si l’on considère que cet individu moyen dort environ 7 à 8 heures par jour, l’internaute "type" passe donc désormais plus de 40% de sa vie (éveillée) connecté. C’est aussi intéressant sur le plan sociologique qu’inquiétant sur celui des prochaines dépenses de santé publique.
Petit à petit, de nouveaux outils viennent bousculer les habitudes de l’auditeur et lui voler son temps grâce à des procédés technologiques très addictifs. L’auditeur n’a jamais été autant sollicité. Ce sera davantage le cas demain. Il l’est principalement sur le web. C’est probablement ici qu’il faut mobiliser nos efforts et tenter, à notre tour, de lui prendre, le peu de précieux temps qu'il lui reste.
 
Du temps perdu à cause des bullshit jobs
 
Ces dernières années, le monde du travail a vu fleurir de nombreux bullshit jobs (les emplois à la con en français dans le texte). L'anthropologue David Graeber (8) met en exergue, et ça vaut désormais pour presque l’ensemble des secteurs professionnels, cette multiplication d’emplois sans réelle signification mais aussi leur impact sur le salarié qui a l’impression de pédaler dans la choucroute. Selon lui, plus de la moitié des emplois sont désormais psychologiquement destructeurs lorsqu’ils ne parviennent plus à marier l’éthique de travail à l'estime de soi. La perte de temps est colossale. Le coût pour la société est énorme.
A contrario d’un assemblage tenon-mortaise dont la durée de vie dépassera bien souvent celle du charpentier qui l’a réalisé, à la radio, la grande majorité des productions a une date de péremption très limitée dans le temps. De votre travail, il ne reste plus grand-chose une fois qu’il a été diffusé. C’est loin d’être grisant sur le long terme. Les "Chief happiness officer", qui sont quand même l’incarnation du bullshit job, ont du pain sur la planche.
 
Le temps, ce nouveau produit de luxe
 
Dans la prochaine décennie, faire en sorte que l’auditeur vous accorde la même quantité de temps, ou plus encore, est incontestablement le challenge à gagner. Cela sera d’autant plus vrai demain parce que le temps deviendra rare se positionnant presque comme  un produit de luxe. Il coûtera cher à générer. Il coutera cher à aller chercher.
Vous voulez recruter des perles rares ? Offrez-leur du temps. Du temps pour agir, pour réfléchir, pour créer. Vous voulez limiter la casse et, peut-être, recruter des auditeurs ? Faites-leur gagner du temps. Du temps pour eux, du temps pour qu’ils puissent vous écouter.
Le principal risque demeurera identique pour la radio : aller plus vite que ses auditeurs. Par exemples, entrer trop vite des nouveautés ou les sortir trop tôt. Faire du son pour faire du son autrement dit remplir des horloges pour seulement constater qu’elles sont remplies.  Être dans le trop. Comme l’avait écrit Montesquieu : "le mieux est toujours l’ennemi du bien". Vous avez donc tout intérêt à évoluer dans le même espace temps que celui de vos auditeurs. Ni trop vite. Ni trop lentement.
 
Si le temps c’est de l’argent, alors la vitesse c’est le pouvoir
 
L’immédiateté s’est installée dans nos vies avec des produits et des services aux dates de péremption toujours plus rapprochées. Elle a pris une place bien trop importante dans les médias. Pour votre équipe, cette instantanéité exige un travail permanent, arasant, usant et fatigant. C’est un rocher de Sisyphe qu’il faut transporter tous les jours.
Parmi les scenarii vraisemblables, une décélération devrait naturellement s’opérer dans les prochaines saisons pour retrouver une normalité temporelle moins soutenue. Et puis, parce que la vague actuelle du "partout tout le temps" est impossible à tenir sur un temps long. La vague du "partout tout le temps" a deux inconvénients : elle rince donc les équipes autant que les auditeurs parce qu’elle exige des premiers une mobilisation permanente et pour les seconds, une attention de chaque instant. Si la décélération ne se confirme pas alors l’auditeur restera prisonnier d’un temps accidentel : "un temps inhabitable" (9). Après le temps de l’histoire et le temps événementiel, l'urbaniste Paul Virillo estime que notre société est désormais entrée dans ce temps accidentel… Celui qui avait, dans les années 90, prophétisé le temps du télétravail et ses conséquences, évoque le temps de l’ubiquité et de l’instantanéité avec, là aussi, son lot d’inconvénients et notamment le risque de désorganisation globale.

Vite revenir dans un temps long
 
Depuis l’avènement du web, nous sommes entrés dans un monde où trop d’informations circulent, où celle du matin est automatiquement chassée par celle du soir, elle-même étant remplacée par celle du lendemain. Ce processus conduit à une amnésie collective voire, prédit Paul Virillo, à un "krach social" (10). À la radio, comme dans tous les médias, cette information installe alors une dictature de l’émotion qui écarte toute possibilité de réflexion alors que l’auditeur a besoin de temps pour analyser ce qu’il écoute, le murir et le réfléchir afin de se faire une idée.
De son côté, le journaliste est prisonnier de ce cercle vertueux : il doit chaque matin trouver un nouvel os à ronger pour maintenir un degré d’émotion élevé chez l’auditeur et donc son audience, tout en ayant recours à un vocabulaire de plus en plus anxiogène. Celui-ci doit incarner l'angoisse, l'anxiété et l'appréhension ou alors le stupéfiant, le merveilleux et l'étonnant. Même l’animateur doit vous promettre une nouveauté exceptionnelle, une interview exceptionnelle, un invité exceptionnel, une matinale exceptionnelle, une opération exceptionnelle : maintenir les choses, mêmes les plus banales, dans l'extraordinaire au risque de tomber dans l'excessif et dans l'exagération.
Plus qu’un simple problème lié au temps qui assomme votre auditeur, c’est donc aussi le vocabulaire utilisé au micro qui conduit à une lassitude de celui-ci. Il devine progressivement que les termes employés à satiété n’ont plus de sens et ne renvoient vers aucune réalité. On peut le berner une fois, parfois deux mais rarement trois. Il n'a plus de temps...

(1) Remote Radio HS La Lettre Pro de la Radio
(2) "L’Invention du temps " (juillet-août 2022)  - L'Histoire
(3) "À Radio France, la grande précarité des jeunes recrues " - Le Monde
(4) EAR National - Médiamétrie 2022
(5) Global Audio - Médiamétrie 2022
(6) Digital Report 2022 Global Overview - La Lettre Pro de la Radio
(7) Regional Pulse Index - La Lettre Pro de la Radio
(8) Bullshits jobs : a theory par David Graeber
(9) Paul Virilio "Penser la vitesse " - ARTE
(10) Paul Virilio "La tyrannie de la vitesse " - France Culture

Rédigé par Brulhatour le Samedi 13 Août 2022 à 06:49 | Commentaires (0)

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