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TRIBUNE : Faut-il un blackout pour se souvenir que la radio compte ?

Rédigé par Frédéric Gérand le Mardi 27 Mai 2025 à 05:40 | modifié le Mardi 27 Mai 2025 à 05:40



Lorsque internet flanche, que l’électricité saute et que plus rien ne fonctionne… c’est vers la radio que l’on revient. Comme un vieux réflexe oublié. Et si c’était justement ça, le vrai problème ? Dans cette tribune, Fred Gérand poursuit la réflexion amorcée ici en février 2024 : pourquoi la radio s’entête-t-elle à ne rien changer, alors qu’elle pourrait redevenir centrale même quand tout va bien ? La radio ne peut plus se contenter d’exister dans la crise. Il est temps qu’elle se réinvente pour être choisie, et non juste subie. Une lecture pour celles et ceux qui pensent que la radio ne doit pas attendre la prochaine panne pour se réveiller.


Frédéric Gérand est Head of Audio à la RTBF
Frédéric Gérand est Head of Audio à la RTBF

En février 2024, je partageais dans ces colonnes un constat amer : la radio semble résolue à ne rien changer. Un média formidable, mais trop souvent figé dans ses certitudes, refermé sur lui-même, replié sur ses formats et ses habitudes. 
Depuis, les événements récents – en Espagne et au Portugal il y a quelques semaines et ce samedi en France dans la région cannoise - n’ont fait qu’attiser mon agacement, voire mon inquiétude : il faut que tout s’effondre pour que l’on redécouvre que la radio est un média essentiel. Il suffit d’un blackout, d’un réseau qui flanche, d’une catastrophe naturelle ou d’une cyber-attaque pour que soudain, on redécouvre la radio comme un réflexe de survie. On dépoussière le transistor, on remonte le son de l’autoradio, on écoute cette voix humaine qui rassure, informe, relie. La radio retrouve alors son rôle premier : tenir le lien quand tout le reste lâche.

Mais pourquoi faut-il que plus rien ne fonctionne pour que la radio redevienne évidente ? Pourquoi faut-il attendre l’effondrement pour lui reconnaître sa valeur ? Ce paradoxe révèle notre plus grande faiblesse : nous acceptons que la radio soit un média de secours, au lieu d’en faire un média d’avenir.

Nous la tolérons comme un plan B quand tout va mal, au lieu d’en faire un réflexe quand tout va bien. Et c’est là tout le problème.
La radio ne peut pas se contenter d’être la grande oubliée des stratégies numériques, la laissée-pour-compte des budgets d’innovation, ou l’alibi sonore d’un système qui survalorise le visuel et l’éphémère. Elle doit se remettre en question, se réinventer, se reconnecter à son époque. Elle doit devenir un média de premier plan, capable de dialoguer avec les nouvelles générations, de réinvestir le champ de l’imaginaire, de proposer des expériences sonores inédites, même quand la lumière reste allumée et que la 5G fonctionne. Elle doit oser sortir de sa zone de confort, expérimenter de nouveaux formats, de nouveaux modes de diffusion, de nouvelles façons de raconter le monde.
Cela passe par une réflexion stratégique ambitieuse, qui ne se contente pas de suivre les tendances mais qui les anticipe, voire les crée. La radio doit se doter des moyens humains et financiers nécessaires pour innover, pour développer de nouveaux outils, de nouveaux contenus, de nouveaux usages. Elle doit investir dans la formation de ses équipes, encourager la créativité et la prise de risque, s'ouvrir à de nouveaux talents venus d'horizons divers. Mais cela passe aussi par un changement de mentalité. La radio doit retrouver la confiance en elle-même, la fierté d'être un média unique et précieux. Elle doit assumer son rôle essentiel dans la vie de millions de personnes, non pas comme un pis-aller en cas de crise, mais comme un choix conscient et enthousiasmant au quotidien.

Car sinon, elle sera condamnée à n’exister que dans l’urgence — à redevenir visible seulement quand le monde devient invisible.
Or la radio vaut mieux que ça. Elle est accessible à tous, partout et à tout moment. Elle crée une relation intime et privilégiée avec ses auditeurs, basée sur la voix, l'émotion, l'imaginaire. Elle a le pouvoir de nous accompagner dans nos vies, de nous informer, de nous distraire, de nous émouvoir, de nous faire réfléchir. Elle mérite mieux que l’intermittence de la mémoire collective.
Elle mérite d’être pensée, désirée, façonnée pour le monde d’aujourd’hui — pas seulement rappelée en sursaut dans celui d’hier.
C'est un défi immense, mais c'est aussi une formidable opportunité. La radio a tous les atouts pour se réinventer et retrouver sa juste place dans le paysage médiatique. Mais cela ne se fera pas tout seul. Cela demandera du courage, de l'audace, de la créativité et de la détermination. Redonnons-lui sa place. Pas à la faveur d’un blackout. Mais à la faveur d’un sursaut. Faisons de la radio un média qui compte, qui pèse, qui ose. Un média dont on se souvient, même quand la lumière reste allumée.



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