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Consolidation accélérée et massive de la radio britannique

Rédigé par le Lundi 4 Mars 2019 à 06:35 | modifié le Lundi 4 Mars 2019 à 06:35



Il y a trois semaines, le groupe Bauer a annoncé avoir racheté la plupart des dernières radios locales indépendantes du pays tandis que son concurrent Global vient de décider de réduire drastiquement les programmes locaux de ses réseaux. Près de 250 emplois en région seraient à risque, tandis que l’offre en programmes de proximité se tarit drastiquement au profit des seuls réseaux nationaux.


Le groupe Global et ses trois réseaux actifs
Le groupe Global et ses trois réseaux actifs
D’un extrême à l’autre. Longtemps constitué de seules radios locales, le paysage radio privé britannique s’est radicalement transformé en moins d’une dizaine d’années. Ces trois dernières semaines, cette transformation a connu un dernier coup l’accélérateur qui semble achever une transformation brutale dans une industrie qui avait pourtant peu évolué en 40 ans.

Des radios locales protégées pendant 40 ans

Retour en arrière : en 1973, la BBC abandonne son monopole d’état pour laisser essaimer les premières radios libres privées. Capital et LBC sont les premières radios à émettre légalement a Londres, tandis que de nombreuses stations locales font de même dans le reste du pays. De réseaux, on n’en entendra que peu parler jusqu’à la fin des années 2000. Près de quarante ans d’un paysage figé entre d’une part les radios nationales publiques de la BBC et d’autre part les radios privées uniquement locales. Quelques mini réseaux régionaux émergent bien suite à des rachats, et certaines radios adoptent une marque commune au tournant des années 2000, mais le paysage privé ressemble encore grandement à une mosaïque de radios purement locales.

Des premiers réseaux avec beaucoup de local et l'émergence du DAB

Ce n’est qu’en 2010 à la sortie de la crise financière qu’un assouplissement de la réglementation permet la formation de premiers réseaux nationaux et le regroupement de leurs stations locales en plateformes régionales, avec les premières fermetures de studios dans les plus petites villes. Les contraintes restent pourtant fortes pour les réseaux : 7 heures de programmes locaux obligatoires, sur le morning et sur le drive, produits localement et en direct, avec voice track interdit. Toutes les heures, entre 6h et 19h, un flash d’information local est aussi obligatoire, produit localement par un journaliste sur place. Un sacré cahier des charges.
Pendant ce temps, le DAB se développe à la vitesse grand V. Toutes les marques nationales, publiques et privées, se développent en passif sur trois multiplexes nationaux et créent même de nouvelles radios, souvent des déclinaisons en marque ombrelle. Les réseaux actifs et les radios purement locales se lancent aussi en DAB sur les multiplex régionaux, avec les mêmes contraintes en programmation locale que sur la FM.
Avec cette belle complémentarité en place, on imagine qu’un microcosme équilibré va se pérenniser entre d’une part une offre nationale passive très accrue grâce au DAB et d’autre part une offre locale FM elle aussi renforcée avec de forts programmes locaux. Et ceci dans un paysage aux audiences et aux revenus publicitaires records.
 

Le poids des lobbies pour une déréglementation massive

Fin 2018, le régulateur Ofcom a décidé de réduire les zones géographiques locales de 24 à 10
Fin 2018, le régulateur Ofcom a décidé de réduire les zones géographiques locales de 24 à 10
C’était sans compter sur l’important lobbying des radios nationales privées auprès des autorités, notamment à travers leur organisation représentative, le RadioCentre. Une sorte de super SIRTI œuvrant pour tout le secteur privée mais contrôlé surtout par l’industrie radio nationale. Durant de nombreuses années, le syndicat a milité auprès du régulateur Ofcom et du ministère des médias pour assouplir la réglementation en programmes locaux, avec deux arguments massue : la concurrence accrue de l’audio numérique et un appétit des auditeurs qui serait désormais grandissant pour des shows animés par des stars nationales. En ligne de mire : la toujours puissante BBC qui rassemble des dizaines de millions d’auditeurs le matin sur ses shows nationaux sur Radio 4, Radio 2 et Radio 1.

Pari gagné : fin 2018, l’Ofcom annonce que d’une part les radios locales peuvent désormais se regrouper en 10 plateformes régionales au lieu de 24, tandis que les programmes locaux peuvent être réduits à seulement 3 heures par jour (lire ici). Fini le morning obligatoire en région, les têtes de réseaux ont les coudées franches pour produire des méga radio shows le matin depuis Londres. Et c’est ainsi qu’il y a quelques jours, le groupe Global, peu habitué à agir avec des pincettes, a décidé de fermer des dizaines de radios locales et de supprimer tous ses morning locaux sur ses trois réseaux actifs, Capital, Heart et Smooth. Ce n'est pas moins de 60 shows régionaux qui passent à la trappe. Hécatombe au niveau de l’emploi, on parle d’une centaine d’emplois supprimés.

Grise mine et futur de la radio en jeu

Dans l’industrie radio et face à ce seisme, les réactions vont de la résignation à une très forte amertume voire de la colère face à une transformation jugée trop rapide et trop dictée par les grands groupes nationaux, qui décime l’emploi radio en région et réduit l’offre en programmes locaux à peau de chagrin pour les auditeurs.
Hormis les associatives et les locales de la BBC, il ne reste effectivement plus grand chose. D’autant que trois semaines auparavant, Bauer, le concurrent de Global, avait annoncé le rachat massif des dernières radios locales indépendantes du pays, plusieurs dizaines d’entre elles qui devraient elles aussi passer en marque nationale avec des programmes majoritairement en réseau. Si c'était le cas, ce serait 150 emplois perdus de plus. Nos confrères de RadioToday estiment que 70% de la masse salariale des animateurs-réalisateurs du pays serait ainsi décimée.

Cette dernière dérégulation massive s’additionne à l’absence initiale des garde fous que l’on connaît en France : au Royaume-Uni, une radio peut être rachetée sans l’avis du régulateur et elle peut changer de nom et passer en réseau sans aucun problème (pas de catégories étanches). Enfin, les radios locales n’ont jamais réussi à créer un groupement publicitaire national fort comme les Indés Radios pour assurer leur indépendance financière. Aussi, l’évolution du paysage était dictée par un seul marché d’enchères avec des fréquences se monnayant autour de 10 millions de livres pour les plus grandes agglomérations.

Évolution nécessaire et inévitable pour certains, vraie gueule de bois pour les autres, l’industrie est divisée. Mais il est certain que le tissu de proximité crée en 40 ans aura drastiquement été réduit en l’espace de quelques semaines. Le DAB régional, le DAB microlocal (minimux), les radios associatives et les locales de la BBC devraient combler partiellement ce vide mais le pari d’une offre devenue très majoritairement nationale reste risqué pour la radio, média de proximité par excellence. Et peut être que cette différenciation était justement sa meilleure chance pour mieux lutter contre les mastodontes de l’univers du numérique. Proximité contre globalisation et uniformisation. Réponse dans quelques années.


Olivier Oddou
Olivier Oddou est le co-fondateur et directeur du site SchooP.fr qui retrace 40 ans d'histoire de... En savoir plus sur cet auteur


1.Posté par MICHEL COLIN le 02/02/2020 09:48
Bravo Olivier et merci pour cet éclairage !

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