Brulhatour

Cauchemars de rentrée, rêves de saison



Samedi 30 Juillet 2022

Annoncée pour le 22 août, parfois pour le 29, voire pour le 5 septembre dans certaines stations, la rentrée radio s’effectue progressivement sur trois semaines. Elle coïncide, plus ou moins, avec la fin des grandes vacances et la rentrée scolaire. Les Musicales sont les premières à rempiler. Elles voient là une opportunité pour roder leurs programmes. Les Généralistes suivent. Le service public et les Associatives ferment la marche. Mais cette année, la rentrée sera particulière. Comme la saison qu’elle lancera…


illustration © Paris Radio Show 2022 - Linda Viksna
illustration © Paris Radio Show 2022 - Linda Viksna

Soyons sérieux deux secondes. Vous pensez, sincèrement, que le gars qui se lève à 06h du matin du lundi au vendredi, 47 semaines par an, qui se tape une heure et demie de trajet chaque jour, et qui pense déjà à ses prochaines grandes vacances prévues dans 11 mois est rassuré d’entendre le jour de la rentrée un animateur lui dire : "C’est génial de vous retrouver ! Vous nous avez manqués ! On vous souhaite une excellente rentrée !". Sincèrement ?
"On veut tout savoir ! Alors, dites-nous ce que vous avez fait pendant vos vacances ?". Gare à ceux qui n’ont rien fait autrement dit qui ont préféré se reposer ou qui n’ont eu d’autre choix que de sucer des glaces à l’eau en regardant passer les bateaux.  Ajoutons que près de 50% des Français ne partent en vacances (1). Que plus de 60% d’entre eux s’ennuient au travail (2). La rentrée, pour eux, c’est un moment difficile. Le travail, pour eux, c’est une corvée. Et pour ceux qui ont eu la possibilité de partir, la fin des vacances marque souvent le retour des emmerdements.
 
Mettez-vous à la place des auditeurs
 
En juin 2022, la confiance des ménages a continué de diminuer pour le sixième mois consécutif (3). Situation financière personnelle en baisse, capacité d’épargne en baisse, niveau de vie en France en baisse… N’essayons pas de croire et de faire croire que les auditeurs évoluent "dans le meilleur des mondes possibles". La méthode Coué a ses limites. Ne prenons pas l’auditeur, qui remet à chaque mois de septembre, bien malgré lui, une pièce dans la machine, pour un imbécile.
Tenez… Rien de plus intéressant qu’une analogie pour poser les bases du débat. Voilà ce que l’histoire nous raconte. En 1966, Pompidou aurait dit à Chirac : "Mais arrêtez donc d'emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays !" (4). Voici l’analogie que l’on peut en faire : "Mais arrêtez donc d'emmerder les auditeurs ! Il y a trop de pub, trop d’infos anxiogènes, trop de bla-bla-bla sur cette antenne ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer la radio !". Intéressant non ?
Voyez, je crois que ce qu’il y a de pire pour une radio, c’est de prendre les auditeurs pour des neuneus.  Un peu comme l’a fait l’orchestre sur le Titanic. C’est même le signe d’une vraie fainéantise d’esprit. Je me souviens d’une phrase d’un conférencier, lors d’un Salon de la Radio, il y a déjà bien longtemps. Le gars avait lâché sur scène : "Quand avez-vous vu pour la dernière fois un enfant le jour de Noël recevoir comme cadeau un poste de radio ?". Tout le monde était bidonné. Bien sûr qu’offrir le jour de Noël un poste de radio à un gamin, c’est l’assurance de manger de la soupe à la grimace. Les vieilles ficelles, ça ne prend plus.
 
Un terrain et un marché devenu très glissants
 
Depuis mars 2020, la radio ne voit plus ses auditeurs. Même la précédente saison 21-22 a été atone : quelques concerts mais rien de comparable aux années précédentes. La radio n’a pas pu rencontrer son public, ou parfois a été trop attentiste. Voilà plus deux ans que ça dure : peu ou pas d’émissions délocalisées, peu ou pas de showcases ainsi dénommés, pas ou peu d’opérations au coin de la rue. Plus que la seule visibilité perdue, c’est le lien sur le terrain que crée habituellement la radio avec l’auditeur qui semble être provisoirement rompu. Jusqu’à quand ? C'est curieux parce que les rares concerts qui ont été organisés au printemps dernier ont connu un vrai engouement de la part des auditeurs.
On peut donc rêver d’une nouvelle saison faite de proximité ce qui permettrait de réduire cette nouvelle distance entre la radio et l’auditeur, distance qui s’est accentuée ces derniers mois. On peut rêver qu’elle revienne à un niveau d’avant Covid-19 parce que pour être entendu, il faut souvent être vu.
En juin 2022, les prix à la consommation ont augmenté de 5.8% sur un an (5). Tôt ou tard, l’inflation rattrapera la publicité qui rattrapera la radio avec les conséquences que l’on peut imaginer. Les petits annonceurs pourraient eux aussi devenir atones.
En conséquence, le marché des régionales bouge et évolue comme jamais, de cessions en acquisitions. Ce n’est vraisemblablement que le début et il y a fort parier que des "petites" B dans le Sud-Ouest, le Nord ou ailleurs, comme des grandes, seront amenées à changer de main durant la prochaine saison. C’est le signe que le marché se raidi et perd en stabilité.
 
Si le monde change, la radio doit changer
 
Dans les studios, il est de plus en plus difficile de recruter du personnel. Journalistes et animateurs revendiquant désormais une part de télétravail et rêvant d’une vie meilleure. Est-ce saugrenu ? Non. Est-ce incohérent avec la pratique de la radio ? Oui. Car cela change considérablement la façon de la fabriquer. La radio est un endroit où l’on ne peut, où l’on ne doit, que trouver des premiers de cordée. Parler de ce qui se passe dehors en étant dedans, ça ne marche pas. Ce recrutement, qui pompe une énergie souvent considérable, devrait être d’autant plus contraignant les prochaines saisons.
Plus encore, les nouvelles habitudes comportementales des auditeurs, depuis mars 2020, vont probablement s’inscrire dans la durée et se durcir. Le Covid-19 n’en est pas le responsable mais seulement un accélérateur entrainant avec lui des modifications profondes, nées il y a plus d’une décennie. Depuis 2005, l’audience cumulée de la radio baisse (6). Elle baisse parce que deux outils se sont imposé, soudainement, sur le marché des produits de grande consommation : le haut débit et le téléphone portable, faciles d’accès et d’utilisation. Des outils qui sont arrivés sur le terrain du temps réel que seule occupait jusqu’alors la radio. Les audiences se tassent parce que l’offre numérique explose. L’audience se morcelle parce que les sources sont de plus en plus nombreuses. Demain, elles le seront davantage encore. Le monde change. C’est une formidable fenêtre qui s’ouvre devant nous pour guetter et attraper les nouvelles potentialités et les opportunités et revenir à quelques fondamentaux qui ont permis de muscler la radio.
 
Du rires aux larmes
 
Ce monde numérique, qui veut être le grand concurrent de la radio, a pourtant un point faible : il est essentiellement virtuel. La radio, c’est le réel, c’est le concret avec des vraies gens dedans. La saison prochaine, la radio qui limitera la casse, et pourquoi pas qui recrutera des auditeurs, c’est celle qui ne sera pas prisonnière du logiciel qui lui impose des règles. Ces règles, qui ont été intelligemment définies par l’Homme, sont parfois faites pour ne pas être respectées afin de mieux coller aux réalités.
Quoi qu’il en soit la radio semble avoir trouvé la solution pour réussir sa rentrée et faire en sorte que la saison 22-23 ne tourne pas au cauchemar. Dès le mois de septembre, on allonge la matinale de 30 minutes (télétravail oblige) et les auditeurs vont rire. Si nous avons vécu un mercato moribond en fin de saison (le signe encore que le marché se raidi et perd en stabilité), de nombreuses stations font du rire, la clé de voute de la prochaine saison. On a recruté à tour de bras. Même RMC accordera à l’humour une place dans sa matinale. À la rentrée, espérons que les auditeurs auront envie de rigoler. On a le droit de rêver non ?

(1) Infographie Credoc
(2) Enquête quapa.fr
(3) Conjoncture ménages juin 2022 Insee
(4) Propos rapportés par Le Parisien
(5) IPC juin 2022 Insee
(6) Infographie La Lettre Pro de la Radio
 
Brulhatour

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