Visite privée : NRJ en route vers l'hyperstudio

EXCLUSIF


Mardi 28 Janvier 2020


Les fonctionnalités et choix techniques ayant accompagné le projet font de cet espace un véritable bijou technologique comme on en croise peu dans l’industrie. Rencontre passionnée avec Alain Reyes, directeur technique des lieux, résolument tourné vers le futur.


Alain Reyes, directeur technique NRJ Audio.

Sous son gigantesque plafond de miroir, nous sommes accueillis avec passion dans le mythique immeuble frappé de 3 fameuses lettres rouges. Trois heures d’entretien entre téchos nous attendent, Alain Reyes poussant avec fierté chaque porte de la moindre cabine de speak du bâtiment, tout en parsemant notre conversation des modestes secrets d’ingénierie qui ont mené la Nouvelle Radio des Jeunes où elle est aujourd’hui. Tout en haut. Au fil de nos échanges sans filtre, nous avons visité ensemble presque chaque studio, au rythme d’anecdotes de geek, dans un jargon éhonté.


Alain Reyes

S’il reste d’irréductibles passionnés dans les grandes radios françaises, Alain Reyes est bel et bien l’un d’entre eux. Embauché en 1996 pour créer le département technique "délocalisation antennes et événementiels", il est aujourd’hui directeur de NRJ Audio, à la tête des 4 pôles techniques qui assurent la production des contenus du groupe NRJ : digital, événements, région ainsi que le pôle expert qui administre les studios nationaux. La quasi-totalité du savoir-faire technique est internalisée, quitte à se réinventer tous les 5 ans pour faire face aux tendances. Sans cesse en train de confronter ses convictions aux technologies émergentes, il carbure à l’innovation et aime répéter qu’il n’y a pas de totem dans la tech.


L’audio sur IP et NRJ, une belle histoire

Au printemps 2008, Alain Reyes revient du NAB Show de Las Vegas avec la brochure de la première console sur IP Axia Element. Cette nouvelle technologie, alors balbutiante et contestée par une clientèle conservatrice et sceptique, est pourtant comprise et mesurée comme une évidence par les équipes de NRJ Audio. Ce tournant technique sera un choc à la fois stratégique, financier et philosophique, puisque les énormes grilles analogiques et les kilomètres d’infrastructures audio qui couraient dans les murs des stations jusqu’alors vont être remplacés par une demi-baie de serveurs et une grappe de câbles réseau, apportant ainsi la souplesse nécessaire à la production de contenus multimédias pour toutes les marques du groupe.
 

Ce grand bond en avant sera sans retour : le staff trouve la pleine approbation de Jean-Paul Baudecroux pour foncer, et la station locale NRJ/ChérieFM/Nosta’ de Bordeaux se transforme en laboratoire dès janvier 2009. Par la suite, l’expérience sera concluante et le clonage opéré sur l’intégralité du territoire, y compris au projet de studio public NRJ, vaisseau amiral parisien immortalisé par la fameuse émission filmée de Cauet. Aujourd’hui, le groupe dispose de 110 studios régionaux équipés en AoIP, et de plusieurs plateaux et cabines au siège rue Boileau à Paris, qui transpirent chacun de cet ADN technologique de NRJ, au fil des expériences et des nouvelles générations de matériel


Nostalgie, sobre et efficace.

Notre visite prend de la hauteur. Une seconde révolution technologique s’annonce en 2020 pour les studios du groupe NRJ, rebaptisés "centres de production de contenus". Au 7e étage, l’ascenseur s’ouvre dans un couloir rénové, qui sent encore le bois neuf et le produit à vitres… L’odeur trompe rarement, et il semblerait que cet étage abrite un tout nouveau jouet. Rapide coup d’œil à travers la lucarne, la voie est libre, aucune émission en direct à cette heure-ci.

La lourde porte acoustique s’ouvre, l’éclairage piloté baisse en intensité, la moquette encore parfaitement brossée absorbe le bruit de nos pas dans cette sérénité de cathédrale… Le maître des lieux change soudain de ton, et profite du plein silence pour nous murmurer le rôle de chaque bouton, de chaque écran. Insolent, un casque d’animateur resté branché sous un pupitre, le volume à fond, hurle un jingle : un blasphème vite corrigé par
le boss, après une rapide recherche à tâtons sous les belles tables en médium taillées sur mesure qui dessinent un diamant… ou un fer à cheval, selon où l’on se place pour admirer les menuiseries.


Toute l'ambiance change, y compris les couleurs.

Ce n’est pas vraiment un second "plateau public", mais on peut y recevoir des invités, et même accueillir des artistes en live avec le renfort d’une magnifique console SSL. L’éclairage et la décoration sont travaillés pour la vidéo, et l’intégralité des informations lisibles prend place sur des écrans géants, composés de panneaux LED modulaires assemblés à la carte. Plus surprenant encore, derrière le pupitre de réalisation, on peut basculer en une pression tactile entre les univers complets de NRJ, Chérie FM, Nostalgie ou Rire & Chansons… Alors, comment définir cet outil ultra-flexible, et doit-on encore parler d’un "studio de radio" ?
 

Radio Number One oblige, les techniciens ont installé une caméra haute définition sur le toit de l’immeuble, permettant d’offrir une large vue de Paris en direct sur le mur d’écrans plein jour, la Rolls de l’affichage sur mesure, d’ordinaire plutôt réservé aux grands plateaux TV de prime time, ou aux concerts de Rihanna… Sachant qu’une véritable fenêtre du studio offre déjà une vue sur la tour Eiffel, ce caprice prête évidemment à sourire, mais cela fait son effet !


Tous les outils d'antenne suivent.

Contrairement à un décor de cinéma, toute cette prouesse esthétique "visible" n’est pas là pour faire diversion. On devine sous chaque centimètre carré le réel joyau d’intégration (visiblement très cher) que nous foulons dans une relative intimité privilégiée. Nulle crise d’ego financée à fonds perdu, nous promet Alain Reyes. "Dans le groupe NRJ, le contenu prévaut sur la technologie. Notre création de valeur se fait sur l’audience et la puissance de la marque, donc on innove lorsque cela fait sens et non pas quand cela « est possible ». C’est toujours de manière raisonnable, réfléchie et maîtrisée. L’innovation n’existe que pour optimiser les moyens de production, et donc le retour sur investissement.
 

À titre d’exemple, les interfaces IP-Tablet destinées au personnel d’antenne sont disséminées un peu partout et parfaitement intégrées au mobilier. On y retrouve naturellement des composantes historiques de la suite Adeuxi, désormais épaulées d’une multitude de fonctionnalités liées aux réseaux sociaux, à la surveillance technique, l’état des micros, l’accueil, la gestion et la mise en attente des auditeurs et inserts, etc. Le support natif du HTML5 avec un système d’onglets permet d’ajouter des fonctionnalités IP-Tablet en quelques minutes, presque aussi simplement que sur un navigateur web. La révolution tactile a brisé les frontières entre les éditeurs de solutions, qui cohabitent naturellement dans ces studios d’avant-garde où l’interopérabilité règne en maître.


Sous le capot

Les 12 IP-Tablet ont ici été intégrées dans de larges écrans mats tactiles de 24 pouces, physiquement connectés sur des clients légers Dell, et affichent en plein écran les sessions hébergées sur une vingtaine de machines virtuelles (VM).
 

Toute cette galaxie VM est assumée et maintenue en propre par les équipes techniques de NRJ selon un cahier des charges rigoureusement écrit et tenu en interne, avec un niveau de sécurité quasi paranoïaque qui force le respect : 18 machines virtuelles sur 3 gros Hyperviseurs VMWare en cluster à haute dispo… Le stockage est assuré par 2 vSAN à double contrôleur, le tout interconnecté en fibre optique sur un cœur de réseau Cisco.
 

Si vous n’êtes pas familier de ce jargon, résumons cela en trois mots : ça devrait suffire.


Mû par cette confortable armée de processeurs qui ronronnent paisiblement dans le local technique, IP-Studio met à disposition sous forme de VM l’ensemble des applicatifs Adeuxi (cartouchier, sampleur instantané, diffuseurs, conducteurs pub et musique…), mais aussi les outils de pige et podcast, le pilotage des inserts téléphoniques et même les bases de données de contenu et planification. L’éclairage des studios et le pilotage des murs d’images reposent quant à eux sur une "cuisine maison", jalousement gardée parmi les secrets impénétrables du pôle experts de NRJ Audio.

Des précédents moins enthousiastes

La virtualisation, c’est un peu tout ou rien. D’autres radios ont perdu des plumes dans leurs projets de VM, ayant pour certains fini en migration partielle, instable, voire avortée. Là où NRJ a complètement fait abstraction de réels PC physiques stricto sensu, certains se sont noyés dans les impasses techniques, avec des KVM sur IP qui ne cherchaient qu’à résoudre une partie du problème. D’autres auraient même démonté des terminaux légers pour faire marche arrière et remettre des PC en studio. La route vers la virtualisation n’est donc pas toute tracée, et pour y parvenir, il faut parfois savoir marier audace et humilité.

Il est intéressant de noter que l’ensemble des automations logicielles du nouveau studio ne "parlent" pratiquement jamais sur le réseau physique du bâtiment, mais restent elles aussi dans un environnement vSwitch entièrement virtualisé, ce qui, pour l’anecdote, permettra de sérieuses économies sur le prochain bon de commande Cisco… La large table de mixage DHD n’a plus qu’à s’abonner aux flux AES67 que le puissant driver Axia Livewire+ met à sa disposition depuis les machines virtuelles. Le doigté du réalisateur et le talent des animateurs feront le reste.

5 questions à IP-Studio

LLP - Quel a été votre premier bon de commande chez NRJ ?
IP - En 1998, après la numérisation réussie du Mouv’ chez Radio France, le groupe NRJ nous a confié la numérisation Adeuxi de Nostalgie. Notre premier pas en tant que partenaire technologique.

LLP - 20 ans plus tard, la confiance est renouvelée ?
IP - Nous avons reçu fin 2018 un bon de commande Chérie FM… Lors de premiers échanges techniques, nous avons proposé d’aller vers des solutions de VM et tactiles, sur lesquelles nous avons désormais une expertise mature. Notre première démo a été improvisée depuis une salle de réunion chez NRJ, connectée par internet au petit serveur de notre atelier de tests au Bourget ! La direction, tentée de franchir le pas, nous a reconvoqué pour un POC (Proof of Concept, ndlr) début 2019. Quelques nuits blanches plus tard, nous avons passé le grand oral avec un prototype opérationnel du studio que vous avez visité aujourd’hui.

LLP - Votre périmètre a changé en 20 ans. Comment suivez-vous cette mutation full-IP ?
IP - Nous avons de nouveaux métiers… Nos équipes comptent des ingénieurs réseau et système, et nous avons investi sur des formations qualifiantes, Cisco, Microsoft, VMWare, etc.

LLP - Les consoles à 48 faders, c’est fini ?
IP - Pas du tout, sauf qu’elles ne seront plus physiques, mais virtualisées, adressables, voire bientôt déportées…

LLP - En coin de table, sur une radio basique de province, quelle économie réalise-t-on avec une solution VM/Tactile plutôt qu’un CDM traditionnel avec consoles et traitements physiques ?
IP - Le coût est divisé par 4. Pour un grand compte, cela représente une économie… pharaonique.

Propos de Jérôme Gahery, recueillis dans son bureau d'étude du Bourget suite à notre visite des locaux de NRJ.

Bruits de couloir

- NRJ, Chérie FM et Nostalgie vont prochainement faire évoluer leurs webradios en linéaire (stéréo sans perte), s’appuyant sur le format ouvert FLAC.

- Objectif zéro console en région ? Les 110 studios sont amenés à devenir des centres de production de contenu, potentiellement sous marque blanche puisque la virtualisation est capable d’héberger, sur un seul serveur et une paire d’écrans tactiles, tout ce qui fait l’identité d’une station. Si NRJ transforme l’essai et enclenche le second pied dans le concept hyperstudio, il n’y aura plus aucune limite : la console tactile, le système de décrochage, les traitements voix et diffusion, le moteur de mixage audio, les encodeurs de stream, le watermarking Kantar, les inserts VoIP, l’automation, la pige, l’export des podcasts, la base de données musicale… et pourquoi pas le transport du signal MPX jusqu’au pied du pylône ?

Entretien avec Jean-Paul Baudecroux, PDG du groupe NRJ

LLP - NRJ a misé sur l'audio sur IP en 2008. Quelles étaient les réticences internes ?

JPB - Dans l’ensemble, ça s’est bien passé. Les équipes techniques d'Alain ont probablement subi la frilosité liée à la nouveauté, mais j'ai toujours appuyé sa démarche. L'IP était une évidence, on a été les premiers à s'y lancer et depuis, tout le monde nous a suivis.

LLP - Vos concurrents en 2020 ne s'appellent plus FUN/Virgin mais plutôt Deezer/Spotify… Comment ne pas être largué face aux géants du net et leurs budgets no limit ?

JBP - Nous suivons d'assez près les études américaines, qui sont unanimes : la radio, c’est un compagnon, un animateur qui divertit l’auditeur. Il n'y a qu'à voir les scores de Cauet et Manu sur Médiamétrie ce matin*. Ce n’est pas juste une playlist, et il y a les informations locales très importantes, des jeux, la météo. Les Américains parlent d'ailleurs de "Live and Local". Par ailleurs, sur les enceintes connectées, la consommation de la radio ne cesse de progresser en France. Aux USA, c’est encore plus spectaculaire, car il y a là-bas une base installée très supérieure. La France explose en termes d’équipements. En revanche, il est vrai que nous ne nous battons pas à armes égales et qu’il y a un danger si la France maintient cette hyper-régulation des radios musicales. En effet, les radios musicales sont hyper réglementées par une loi qui date de 1994 et qui a fixé des quotas il y a 25 ans. En 2016, comme si cela ne suffisait pas, la loi a rajouté une obligation plafonnant la rotation des chansons. En face, les plateformes de streaming n’obéissent à aucune contrainte. La concurrence est faussée.

LLP - Votre radio filmée est plus sophistiquée que certains plateaux TV. Où placez-vous le curseur entre les métiers radio et TV ? Pourquoi croyez-vous à la vidéo en studio ?

JPB - J’y crois car certaines émissions sont plus intéressantes pour le spectateur, et puis on a des animateurs qui sont des entertainers, comme Manu, Cauet… Ça vaut la peine de les filmer ! Mais la vidéo n'a pas toujours sa place en radio : voir un animateur tapoter en direct sur un écran serait moins spectaculaire.

*Nous avons échangé avec Jean-Paul Baudecroux mardi 14 janvier 2020, jour de publication des chiffres 126 000 natio.

Consultant IP & Broadcast, au service des radios et des fournisseurs. Facilitateur IP. En savoir plus sur cet auteur
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