Audience globale : un petit tatouage, ça vous dit ?


Jeudi 20 Janvier 2022


En 2016, Médiamétrie s’intéresse de près, pour le secteur de la radio, à une technologie dont les premières origines sont apparues en Italie au XIIIe siècle permettant d’identifier un fabricant de papier. La technique ne date donc pas d'hier. Elle est redoutablement efficace, assurément indolore et particulièrement discrète…


L’audimètre canadien (anciennement Sondages BBM), le fameux PPM à porter toute la journée.

 

Le filigrane ou watermarking est le processus qui consiste à intégrer des informations dans un signal visible ou invisible (par exemple un signal audio, vidéo ou visuel) de manière à ce qu'elles soient difficiles à supprimer ou à entendre. Si le signal est copié, l'information est également présente dans la copie. Le watermarking est devenu de plus en plus important pour assurer la protection des droits d'auteur en photographie et la vérification de la propriété. On l’appelle également aujourd’hui, "tatouage".
En 2008, Médiamétrie adopte le watermarking pour la télévision. Il est aussi utilisé pour l’AIP (l’audimétrie individuelle portée) pour permettre une mesure individuelle automatique de l’écoute dans un foyer (audimétrie foyer) ou d’un individu en dehors du domicile. Mesure déclenchée par une action ou par un audimètre qui enregistre l’audio environnant (audimétrie individuelle).
Enfin, c’est aussi en 2008, en décembre, qu’Apple décide de ne plus utiliser pour sa musique les DRM (Digital Rights Management), un autre type de watermarking combiné à un accès conditionnel.

Des solutions multiples

La technologie de tatouage de Médiamétrie utilise un SDK (kit de développement) de Kantar Média – mise au point par Civolution dont l’activité de tatouage numérique (inaudible par l'oreille humaine) fut rachetée par Kantar – sur lequel il est nécessaire de faire développer une couche supplémentaire (souvent sur LINUX) afin de pouvoir superviser, administrer l’outil et être alerté lorsqu’un dysfonctionnement apparaît. De nombreuses solutions analogiques ou AOIP existent aujourd’hui et sont "certifiées" par certains éditeurs afin de pouvoir être utilisées par les radios. Fabricants de traitement de son, de monitoring, encodeurs de streaming, solutions de radio sur le Cloud, logiciels d’automation, solutions pour télévision ou pour la radio filmée… plus d’une trentaine de produits sont aujourd’hui commercialisés et disponibles, de Sound4, VizionR, Creacast, RCS en passant par IP Studio, Telos, WinMedia, Wheatstone… jusqu’à Grass Valley.

L'équipement nécessaire

Le logiciel MPEGRepairHD de PixelTools, associé au logiciel Nielsen (PPM), permet d'insérer des tatouages Nielsen dans les publicités.
Trois solutions pour l’installer : la première est de se procurer un équipement physique (hardware) à installer à l’émetteur, ce qui garantit moins d’erreurs. La deuxième est d’installer un équipement ou une version sous forme de logiciel dans les studios pour chaque départ extérieur à tatouer. La dernière est de mettre en place un serveur LINUX pour traiter plusieurs flux en simultané (jusqu’à 16 à 32 flux) avec les risques que cela peut comporter en cas de panne. Le prix ? De 250 € à… 2 500 € pour le même tatouage de flux.

Audimètre ou PPM ? Le sujet qui fâche

Cet audimètre, développé par Médiamétrie, est le plus petit du monde : il mesure 4,4 cm x 4,4 cm pour 1,5 cm d’épaisseur et moins de 40 g.
Après bientôt quatre ans de tests et de pourparlers avec le conseil d’administration (le capital de Médiamétrie est détenu à 65% par les médias et 35% par les annonceurs et leur conseil Agences médias avec Orange entré fin 2021 à hauteur de 2,44%, NDLR), c’est un sujet qui fâche. Certes, une solution équivalente existe et mesure déjà la radio aux États-Unis et dans d’autres pays. Le fameux PPM qui date de 2007 (Portable People Meter) a été développé par Arbitron maintenant devenu Nielsen Audio. Mais ce tatouage est audible et gênant pour l’écoute de la radio outre-Atlantique, ce qui n‘est pas le cas avec le tatouage en France complètement inaudible à l'oreille humaine.

Kantar se développe actuellement dans plusieurs pays et prend des parts de marché à PPM. PPM a même récemment lancé une opération de complément des mesures en revenant à des enquêtes par téléphone. En France, une date butoir psychologique a été annoncée par certains acteurs pour… janvier 2022. De nombreuses radios de catégorie B et certains groupes déploient le tatouage, mais ne sont pas encore totalement équipées. Les raisons ? Certaines radios sont contre – avec certaines actions en justice – car les premiers tests n’étaient pas probants. Normal, pourrait-on dire, compte tenu du panel réduit utilisé pour les tests, comparé à des dizaines de milliers d’entretiens en France avec l’étude EAR (anciennement 126 000). Les résultats ne donnent donc pas les mêmes résultats et changent le classement, bouleversent la course à la publicité qui est au cœur du modèle économique des radios commerciales.

La diversité des acteurs en question

Et côté TV ? 5 000 personnes dans le panel mesurent aujourd’hui la télévision en France. Ce qui est largement suffisant compte tenu du nombre d’éditeurs. En radio – avec 1 200 éditeurs disséminés partout en France –, la granularité n’est pas la même, mais de l’AIP pour des dizaines de milliers de personnes est impossible pour des raisons de coûts. Un sur-échantillonnage, c’est-à-dire ajouter plus d’appels ou d’audimètres pour zoomer un peu plus sur une région, a un coût et il est de plus en plus compliqué de convaincre des échantillons représentatifs de la population ainsi que de récolter des informations par téléphone surtout dans les tranches d’âge les plus jeunes. C’est là que la science entre en jeu. La technologie ne serait maintenant plus un véritable problème. Le travail scientifique de la donnée basée sur les méthodes de collecte de données existantes et nouvelles à des méthodologies avancées des données telles que la fusion, la calibration et les panels virtuels. Si la qualité de la donnée est bonne, la science ferait le reste.

La solution de l'hybridation

Des solutions hybrides sont imaginées pour collecter et traiter des données par audimètre pour les agréger à des statistiques d’écoute en streaming, à des logs de téléchargement et à des panels d’interviews téléphoniques. Car comment contrôler aussi les podcasts et les replays dans une période où nous sommes tous des éditeurs et des diffuseurs en puissance ? Tous les acteurs ont-ils besoin d’avoir accès à des chiffres précis pour commercialiser leurs stations, leurs podcasts ? Côté podcasts, des solutions d’agrégation des statistiques permettent aujourd’hui à des éditeurs de connaître de manière précise leur audience globale avec des datas de complétion, d’origines mais pas de catégories socioprofessionnelles et donc, moins de précisions pour les annonceurs.

Vers un grand partage de datas ?

La concurrence entre diffuseurs et la multiplicité des acteurs rendent l’opération complexe mais pas impossible. Carnets d’écoute, logs, tatouages… les datas existent et les acteurs se parlent de plus en plus. Mais avec plus de 80% de l’écoute radio qui se fait encore en analogique hertzien et la mesure du podcast certifiée ou calculée sur du téléchargement, le grand remplacement devrait plus se diriger vers un grand partage de datas pour les exploiter ensemble et en tirer la substantifique moelle. Souhaitons simplement pouvoir nous approcher le plus justement possible de la réalité du terrain, sans laisser la science ajuster les chiffres au bon vouloir des actionnaires…
Fondateur et directeur de la publication de La Lettre Pro de la Radio et des Médias et du POD,… En savoir plus sur cet auteur
Dans la même rubrique :