#RDE16 : Partagez-vous la vision de James Cridland ?



Mardi 15 Mars 2016


Potier qui travaillez l’argile, vous avez toujours rêvé d’avoir votre propre magasin. En quelques années, vous êtes parvenu à créer assez d’objets pour penser à les vendre. Vous travaillez dur sur le design de la boutique, et quelques amis vous donnent un coup de main pour rendre l’endroit accueillant. Vous concevez un éclairage sur mesure pour mettre en valeur le travail de vos mains. Et puis, finalement, vient le moment d’ouvrir la boutique ! Elle reste ouverte une journée entière, et quand vient l’heure de la fermeture, vous écrasez toutes vos oeuvres, balayez les débris dans un grand sac plastique et virez le tout à la poubelle, avant de rentrer chez vous, rêvant au jour où vous aurez de nouveau une boutique.



James Cridland est un futurologue de la radio. Il publie une lettre hebdomadaire sur james.cridland.net
James Cridland est un futurologue de la radio. Il publie une lettre hebdomadaire sur james.cridland.net
Insensé, n’est-ce pas ? Pourquoi mettre tant de soin à créer quelque chose pour le rendre indisponible pratiquement dès que vous l’avez abouti ? C’est pourtant comme ça que la radio fonctionne, chaque jour. Nous fabriquons des éléments. Nous les diffusons, une fois, sur notre gros émetteur dont nous sommes si fiers. Et puis nous effaçons le
fichier audio et nous fabriquons autre chose. C’est ce que j’appelle la "mentalité émetteur", et ça n’a aucun sens. En octobre 2014 a été lancée une série sur podcasts qui a duré jusqu’à Noël de la même année. Ce fut un succès incroyable : à la fin de la série, on totalisa plus de 40 millions de téléchargements. Impressionnant ! Mais alors, il se passa quelque chose d’étrange : les gens continuèrent à la télécharger. Fin janvier, on atteignit 68 millions de téléchargements ! Et d’après certains, alors que j’écris ces lignes, la série a dépassé les 100 millions de downloads.

En radio, nous faisons preuve d’une obsession à "nourrir l’émetteur" – de préférence avec des contenus en direct. Mais la série que je viens d’évoquer est l’un des exemples qui démontrent que "la mentalité émetteur" est dépassée et présente un danger pour le futur de la radio. Et tout d’abord parce que cet état d’esprit "émetteur" est mauvais pour l’amplitude de nos contenus. On se concentre à mort sur ce que pourrait être l’état d’esprit des auditeurs à neuf heures du matin, plutôt que de se concentrer sur la production de contenus excellents ! Il est probable que personne ne pense que les auditeurs, à cette heure-ci du matin, veulent écouter des réflexions académico-philosophiques à propos de sujets tels que la civilisation maya, présentées par un type dont le véritable nom est "Baron Bragg de Wigton".

Pourtant… ce programme existe ! Il s’appelle "En Notre Temps" – et a été téléchargé 27 millions de fois, en plus d’être diffusé tous les jeudis sur BBC Radio 4… à neuf heures du matin ! Bien évidemment, il faut être dans l’ambiance pour écouter un tel ovni ; d’où son succès à la demande.
La "mentalité émetteur" est aussi mauvaise pour la qualité. Nous pensons – et c’est une erreur – qu’à la radio, le plus important est d’être en direct. Alors on se débrouille comme on peut pour fabriquer des bouts de radio qui auraient été bien meilleurs avec un peu de préproduction. Chaque fois que vous entendez la communication qui se coupe avec un invité au téléphone, une liaison audio foireuse, ou une interruption soudaine d’un entretien pour diffuser un improbable bulletin de trafic routier… vous entendez de la radio qui aurait pu être bien meilleure s’il n’y avait eu cette superstition de l’importance de "nourrir l’émetteur".

Cette "mentalité émetteur" roule les auditeurs dans la farine : parce que nous pensons qu’il faut alimenter l’émetteur avec des éléments sans cesse renouvelés. Pourtant, grâce à larecherche radio moderne, nous savons que seulement 12% des auditeurs de 16h15, par exemple, auraient déjà entendu l’interview diffusée à 6h35 le matin même. Pour la plus grande partie de l’auditoire, il s’agit là d’un contenu complètement nouveau qu’ils seraient probablement ravis d’écouter. Le week-end présente encore plus d’opportunités. Du contenu nouveau pour la majorité des auditeurs, et pas cher !  Enfin la "mentalité émetteur" est mauvaise pour l’archivage. Puisque nous produisons la majorité de la radio en direct, il nous faut travailler dur pour l’archiver !

Résultat : des podcasts mal reconditionnés et une complication ajoutée pour la réutilisation en ligne. Si les émetteurs sont toujours importants, la primauté du direct doit laisser la place à la primauté du contenu de qualité. Je pense que la mentalité émetteur n’a pas sa place dans le futur de la radio.

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